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Atelier Cinélégende 22 févr 2019 "Territoires"

Chemin des Chalets

Le chemin étroit serpente sur toute sa longueur. De part et d’autre, deux murs de pierres sèches, sont là, levés très haut. Plus haut encore croissent de souples et légers peupliers, des pins dodus et sombres, des chênes anciens et récemment élagués. C’est la saison de transformation de nos branchus et feuillus en têtards un peu nus.

Certains détestent. Moi j’aime ce paysage transformé, adapté à un environnement urbain. Cet entretien paysagé contient et rafraîchit les abords. Une heureuse harmonie s’installe. L’hiver est là. Tout à coup l’un des deux murs disparaît, laissant place aux rayons du soleil levant, rasant, étalés sur la pelouse. L’air vif de ce petit matin y dépose sa fine et fraîche rosée.

Poursuivant ma course, j’abandonne ma trace sur ce somptueux tapis argenté. Deux rus guillerets chavirent mes oreilles de leurs vigoureux clapotis, de leurs joyeux gazouillis. Immobile, j’observe la mésange tête noir s’y baigner, s’ébouriffer, ranger ses plumes.

Le printemps tente quelques incursions. La Ficaire, belle demoiselle refermée sous les nuages et sous la pluie, a bien pris soin des plis de ses pétales. Au franc soleil la voilà offerte lumineuse, émoustillante et joyeuse.

La nature s’empare de moi. Mon ventre se dilate, une incroyable osmose de ce petit coin- ci, s’installe en moi. Me voilà atteinte éclaboussée par ces confettis de bonheur.

par MTAG

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Mes rêves me ramènent souvent là-bas. Je n’ai passé que quelques mois au bord de la mer. J’habitais à une dizaine de kilomètres de la côte vendéenne, dans le village d’Angles, chez les parents de l’homme que j’aimais, avant qu’il ne me quitte et que tout s’arrête.

Je passais beaucoup de temps seule et ça me plaisait bien. Souvent, je prenais mon vélo et affrontais les vents contraires, de ceux qui créent une forte résistance et qui donnent la sensation que la route monte. Mais c’était bon car au bout était la récompense, la plage, juste pour moi.

Ma période préférée était septembre. La foule avait déserté, l’eau de la mer était encore tiède des mois de l’été et la luminosité était enveloppante et douce comme la peau d’une pêche. C’était tout un nuancier de rose et d’oranger qui s’offrait lorsque le soleil se retirait délicatement, donnant à l’atmosphère une teinte presque irréelle.

Il fallait d’abord traverser la pinède, la fraîcheur de l’ombre m’apaisait suite à ma course en vélo. Le vent qui jusque là sifflait à mes oreilles cessait et je n’entendais plus que le bruit lointain des vagues. J’avais l’habitude de marcher pieds nus pour éviter que le sable ne rentre dans mes chaussures mais il fallait faire attention car les aiguilles de pin étaient coupantes. J’aimais gravir la dune, sentir les muscles de mes cuisses se contracter légèrement et arriver au sommet le souffle coupé, moins à cause de l’effort que de la vue qui m’attendait là haut.

J’y étais enfin, face à la mer. On est bien peu de chose, et l’océan toujours me le rappelle. Après une petite pause, je descendais alors par le petit sentier en pente douce qui menait sans contrainte vers la plage où je m’asseyais à même le sable et contemplais, sentais, écoutais l’océan qui me murmurait tant de choses.

par Aurélie Jacquesson

 Ma Loire, depuis toutes ces années où je l’ai côtoyée, et bien oui, je l’ai faite mienne, je me la suis appropriée…. Haute, basse, majestueuse, gonflée, révoltée, dangereuse, changeante…C’est ma Loire, elle ne ressemble à aucun autre fleuve, sauvage, indomptable, rebelle, elle étale ses bancs de sable rosé, elle courtise châteaux et manoirs disséminés sur ses berges, cachés dans les genêts, elle souligne la blancheur des tuffeaux ciselés habilement, des abbayes qu’elle magnifie. Elle charrie ses eaux et ses gabarres comme son histoire, odes, pastourelles, amour de leur Reine, gloire de leur Roi, chronique d’un temps révolu, aux paroles toujours lues…Rabelais, Ronsard, Du Bellay….La douceur angevine, la joie de vivre et les bons vins….Eros et Bacchus….esthètes et poètes….Notre Bon roi René….

Je ne peux vivre loin de ma Loire et sur sa digue, il est un manoir majestueux enclos de grands murs de schistes, au milieu de cette cour, il est un arbre aux oiseaux, géant, tout rond, je me réjouis à son approche, mon cœur s’emballe, je me retiens de courir….Au pied du mur, à droite de la porte en bois ouvrant sur les barques, un banc solitaire m’ invite à la halte, au concert improvisé et sans cesse renouvelé des oiseaux, le charme , la séduction m’ emporte émerveillée, mon esprit glisse sur les flots, le vide se fait en moi…Douceur, Sérénité…Je m’apaise. Je souris.

Par Brigitte

Le flux de la conscience (à la manière de Virginia Woolf...)

Les chaussures défilent devant moi, sur les pavés parisiens. Un défilé de mode ? Non, le quotidien, les passants…De tous les goûts, de toutes les tailles, de toutes les couleurs…Messieurs, Mesdames, choisissez, des rouges écarlates, des dorées, des argentées, des clignotantes, des talons plats, des talons hauts….Comment font- elles pour courir Paris avec ces échasses ? Et pourtant quelle élégance, quelle assurance…Combien de temps peuvent-elles tenir ? Une journée, un apéro ?

11 heures sonnent à la chapelle de l’école militaire, bon sang quelle avance, c’est la faute au décalage horaire…encore 1 heure à faire passer, «  un grand chocolat chaud SVP ! « ….Les feux défilent et se succèdent entraînant leurs lots de véhicules…Rouge, vert, orange ou peut- être orange, rouge, vert…Code, règles, Liberté…

Celle-là, légère et sportive, a dû cacher ses talons dans son sac, elle est en tenue de soirée avec les rangers aux pieds, tenue décalée ?...Bienheureux les hommes, ils n’ont pas à se poser de questions, ils tracent bien chaussés…Mode, manipulation, faire plaisir, influence…Résistance, Liberté…

Une ambulance arrive, les voitures s’écartent et laissent passer… Mon Dieu ! Le gyrophare, la sirène, la hâte…Une maman resserre et retient son fils sur le bord du trottoir…Un homme suit des yeux le trajet de l’ambulance, soulagé de piétiner encore les trottoirs à sa guise…Pourquoi lui ? Le hasard, le destin, « La convergence vers un seul point », à 5 minutes près l’éviter ? Destinée, Liberté….

Une feuille flamboyante se détache d’une branche et tournoie, balancée par le vent au-dessus de la tasse. Légère, elle s’y pose doucement, discrète, après avoir baigné de son ombre les pavés du café, tout l’été, son travail terminé, reviendra-t-elle chaque année ? Quelle est sa destinée ? Liberté…

Avec le vent vient la pluie, de grosses gouttes lourdes s’écrasent sur les tables métalliques, remplissent les tasses vite abandonnées de la terrasse, les souliers se hâtent, courent et disparaissent, midi sonne enfin, en route pour le Massif Central, la rue est maintenant déserte, mes chaussures de randonnée rejoignent hâtivement le parking de l’école militaire…Choix, Liberté…. ?

Par Brigitte

Vieux Paris - Terrasse de cafe en 1920.j

Être enterré(e) quelque part...

Au pied de mon arbre, je me repose en paix. Tout s’est arrêté. Un calme ouaté m’envahit maintenant, contrastant avec le choc violent qui m’a menée jusqu’ici. Je n’ai rien vu venir. Ce camion de plusieurs tonnes m’a expédiée en un temps record dans un ailleurs, ce monde qui est désormais le mien pour toujours.

 

De mon vivant j’étais très anxieuse, ce qui malgré mon relatif jeune âge m’avait poussé à rédiger mon testament. Je n’avais qu’un seul désir : être enterrée au pied de mon arbre où je tentais de vivre heureuse de mon vivant, et où morte, je coulerais des jours paisibles, loin du tumulte de la vie.

 

Le chant des oiseaux au dessus de mon enveloppe corporelle contraste avec le silence en moi, ce silence intérieur qui est devenu mon quotidien. C’est étrange, les voix dans ma tête se sont tues. Ces voix qui me malmenaient, me martyrisaient et m’empêchaient d’être moi, envolées. J’entends le monde maintenant. Le bruissement du vent dans les feuilles, la respiration du vieux chêne, la sève qui le parcourt et la rumeur du village au loin. Je sursaute parfois, car un gland rompt le silence et s’écrase sur ma tombe. Vivement la fin de l’automne !

 

Ah oui ! J’oubliais… J’ai perdu la vue. La vue avec les yeux, ce sens prépondérant chez l’homme vivant qui écrase toutes autres sensations et empêche de bien voir. Mais c’est sans importance car mon corps, pourtant inanimé, n’est que perception et sérénité. Et lorsqu’un ami venu me voir, lit à voix haute la petite inscription sur la plaque en marbre, il n’a jamais été aussi proche de la vérité.

Repose en paix.

par Aurélie Jacquesson

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