Lettre à mes poumons

Très chers poumons !

Depuis le soir de ce cri perçant, où l’air, avec force, s’est frayé un chemin jusqu’à vous, vous m’avez fidèlement accompagnée. En effet, comme le dit ma professeure de yoga, nous respirons sans cesse, sans nous en rendre compte, tout comme, auteur en herbe que nous sommes, nous faisons de la prose sans le savoir.

Donc je respire, nuit et jour. Un va et vient, comme le ressac. Inspirez… Expirez… Inspirez… Expirez... Mais si c’est si naturel, pourquoi cette pression au niveau du plexus solaire ? Pourquoi ce souffle court, hâtif ? Respirer est inné, mais quand je m’y attarde, ce n’est pas une promenade de santé mais bien un chemin semé d’obstacles. Le premier est ma gorge, gonflée, prenant toute la place. Puis vient mon sternum, lourd et omniprésent, opprimé par toutes les choses que je n’ai pas dites.

Heureusement, chers poumons, vous m’avez tant apportée en me donnant à sentir et ressentir toutes les odeurs, tous les parfums de ce vaste monde. L’odeur est sœur de la respiration, on ne peut pas se boucher le nez discrètement, comme on ferme les yeux. Le nez sent, le nez reçoit ce qui est là. Le nez est le témoin subtile de notre vécu, de nos émotions.

Vous souvenez-vous de cette odeur de pétrole, qui s’imprégnait aux vêtements de mon père, alors qu’il était livreur de combustibles ? Une odeur toxique, malsaine, mais pourtant si bonne, si entêtante, qui nous filait la migraine et nous tournait le cœur. Et la douche n’y changeait rien, le parfum flottait bien plus tard encore, triomphant. Encore maintenant, je hume avec plaisir les vapeurs du gazoil quand je fais le plein, sourire aux lèvres.

Plus tard, nous avons eu la chance de parcourir les forêt d’eucalyptus en Galice, une odeur très fraîche, mélangée aux effluves salines de la mer. Une odeur très fraîche, malgré la chaleur partout autour, adoucie par l’ombre de ces parasols géants. De belles vacances, un bon bol d’air. Vous étiez alors au pic de votre forme.

Je dis souvent que l’on reconnaît un bon bouquin en le reniflant ! L’odeur des livres… Je me souviens du bouquet si particulier de mon vieil exemplaire de « l’écume des jours » qui me venait de ma mère. La colle, l’encre, les mots et le temps qui passe. La tristesse de Colin aussi et le piano-cocktail qui s’agite. Un goût acre dans le fond de la gorge.

Je ne souhaite retenir que les bonnes odeurs, pour ne pas te faire un procès trop lourd.Je ne garderais de ce patchwork olfactif que les moments doux, que les souvenirs heureux. J’éviterai avec soin la pestilence des hôpitaux, le goût de fer du sang dans la bouche et le souffre des flammes qui ravagent.

Chers poumons ! Je vous chéris en ces temps de contamination et de maladie. Beaucoup de vos semblables, habitant d’autres corps, d’autres mémoires, ont été très durement éprouvés, parfois jusqu’à leur dernier souffle. C’est une chance que nous soyons en bonne santé, vous et moi, et que nous ne manquions pas d’air.

Chers poumons ! J’ai été ravie de vous écrire cette lettre. C’est vrai qu’on ne dialogue pas souvent, l’air de rien. Bon vent !

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Aurélie