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TExtes a lire

Monologue intérieur d’un personnage de tableau

Par Lauretta

Poser est une tâche bien fastidieuse. Mes jambes sont si lourdes. Voilà une demi-heure que je suis ainsi figé, mon regard fixant le peintre,  la main gauche glissée sous mon veston, tel Napoléon. Au fond, c’est assez ridicule.

Quel regard intense… ce peintre m’hypnotise. Ses doigts agiles manient un pinceau démesurément long.  « En poil de martre », a-t-il expliqué d’un ton solennel.

J’espère que mon trouble n’est pas visible… J’ai l’impression d’être nu tant son regard me transperce ! Cet homme semble lire en mon âme. Et maintenant il me sourit ! J’ai tellement honte d’être aussi ému. Tâchons d’être impassible.

Ses cheveux sont longs et d’un noir de jais. Une mèche souple tombe devant ses yeux… comme j’aimerais lui dégager le front ! Mon cœur bat plus fort. Calmons-nous. Il faut rester concentré. Mes frères ont aussi des difficultés à maintenir leur pose. Mes jambes s’engourdissent et me picotent. Le temps passe lentement et vite à la fois. Je voudrais pouvoir contempler à l’infini le visage pur et lumineux de ce peintre. Je voudrais devenir le modèle qui sculpte l’artiste. Inverser les rôles, et à mon tour, caresser la toile, dessiner les contours de son corps, avec mon pinceau.

Dans la conscience du personnage…

 

Par Géraldine Pichon

 

Qu'est-ce qu'elle est douée ma petite fille. Je suis fier, fier de mes enfants, fier de mon trésor. Cette grâce incarnée, on dirait sa mère. Une princesse, une princesse ma petite fille j'espère que je pourrais continuer à lui payer ses cours de piano. Remarque les deux grands vont bientôt ramener de l'argent. Ils sont doués eux aussi. Le grand veut être médecin. Le cadet lui, ce sera plutôt un homme de lettres. Rêveur, plutôt solitaire, il en passe du temps sur son pupitre. Jamais voulu me lire ce qu'il écrivait, parce que moi je ne sais pas lire. J'ai pas eu la chance d'aller à l'école. Fallait aller au turbin si on voulait manger. Faut dire qu'on était six dans la famille.

Y a que le petit qui m’inquiète. Il ne parle pas. Depuis que sa mère est partie il n'a pas dit un mot, il rêve. Il doit en avoir des images plein la tête mais on sait jamais rien. Ni ses envies ni ses peines. Ce que je sais c'est qu'il ne quitte pas son bouquin ni la nuit ni le jour. C'est sa mère qui lui avait donné. Je crois que ça lui fait du bien d'entendre sa sœur jouer du piano. Sacrés gamins, heureusement que je les ai. Ils me donnent la force de continuer à vivre sans toi ma belle MARIE...

Portrait de famille
Par Epigraphe

    § Depuis le temps que j’ai économisé pour ce moment ! Ah, c’est qu’elle va regretter, la vieille peau, se d’être carapatée comme ça, quand elle verra qu’on a les moyens de s’offrir un vrai portrait de famille, une véritable huile en l’honneur de notre dynastie, pas un de ces selfies de groupe démodés ! Un machin en costume d’époque, je sais pas trop laquelle, avec la clique et la claque ! Même que c’est pas du carton-pâte, ni un Clavinova, mais un piano comme autrefois qu’on a mis pour la petite ! Ah, si seulement le blondinet arrêtait de me glisser des genoux… C’est qu’il fait diablement chaud sous ces spots, depuis le temps.

    § Elle a l’air fine, elle, avec son froufrou bleu et son piano qui a coûté une blinde à papa, tu parles d’un accessoire utile… Et pourquoi qu’il faut que je tienne ce bouquin qu’est même pas ouvert ? C’est peut-être un BD de fesses, d’ailleurs ? Tout ça pour avoir l’air intello ! Ce qu’il ferait pas pour emmerder maman ! Puis il me tient chaud avec ses grosses pattes, là… Ah, elle a l’air fine !

    § J’ai mal au cou, papaaa… Combien de temps il faut qu’on reste encore comme ça ? Tu voulais vraiment pas remplacer le selfie stick cassé ! Tu sais que j’ai pas fait exprès ! Puis j’ai mal aux doigts à tenir mes mains sur le piano, et quand maman voulait que je prenne des cours, d’ailleurs, t’as pas voulu ! Frangin a les jambes qui tremblent derrière moi à force de rester debout, ce flemmard… Aïe aïe, j’ai mal au cou !

    § On va faire comme si je n’étais pas là, OK. Grand Con garde la main sur mon épaule au cas où j’essaye de me barrer, le pleutre, il veut tout faire comme le daron. Ouais, « pleutre » c’est une classe de personnages dans mon RPG du moment, ça lui va parfaitement. Je me demande si Google identifie les visages aussi, sur les peintures ? On va faire comme si je n’étais pas là, OK.

    § Je suis au centre. Enfin, pas tout à fait, décalé avec une noble proportion, nombre d’or ou un truc du genre. J’adore ces fringues, c’est trop stylé, pas un vieux selfie de famille de truc. Papa a visé juste ce coup-ci, c’est dynastique, cette affaire, mate-moi cette pose Napoléon. Ouais. Je suis au centre.


 

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