Association
Passez-moi l'Expression !
Atelier "Ecrire en quarantaine" du 13 au 19 avril 2020
Merci aux participants pour les photos de leurs intérieurs !
Décrivez votre abri
Je suis à l’abri.
Rien ne saurait m’arriver. Mon bureau, ce pourrait être un nid, un cocon, le ventre maternel. Pour moi, c’est l’Abri, l’espace du réconfort et des soins, le lieu des périples intimes, des excursions et incursions, lieu de lecture et d’écriture. Moi à qui tout échappe, que l’Histoire et son fleuve impassible ignoreront autant que l’histoire, je suis maîtresse absolue du domaine, nid, cocon, ventre maternel. Ici est mon univers, mon lieu de repos. Est-ce dû à mon odeur, à l’empreinte de mes goûts, aux souvenirs posés çà et là ? O lecteur, si j’ai le bonheur d’avoir un lecteur, ne me juge pas. Je ne pose pas, je dis seulement le bonheur de ma vie, une existence modeste et sans prétention. La mappemonde négligemment posée sur la petite table noire fait-elle illusion ? Mais à qui ? Je n’ai pas parcouru le monde et le destin des conquistadors m’indiffère autant que celui des faux Liszt, piètres histrions balançant leurs mains sur un clavier. Le pupitre du synthétiseur au coin gauche de la pièce supporte un volume de morceaux modestes que je peux jouer sans casse-tête pour me distraire et de part et d’autre de mon bureau, des bibliothèques mal ajustées, faites de bric et de broc par mon fils où les livres s’étalant sans support sur près de trois mètres s’écroulent si je n’ai pas eu l’astuce de les caler avec un livre de grande taille. Il faudrait donner un aperçu de ma bibliothèque alexandrine. Elle reflète peut-être plus ma passion de collectionneuse-brocanteuse que mes goûts de lectrice. En haut, près du plafond, même tout contre, anciens manuels (on y trouve les premiers livres de morale de l’école de Jules Ferry et les Lavisse anciens), la religion et les sciences de l'éducation, plus accessibles, la philosophie, un peu de littérature française et étrangère, la poésie.
Les sciences sont dans une autre pièce.
A droite du bureau, une autre bibliothèque, le tout-venant, des dossiers. Toutes ces étagères sont encombrées d’objets personnels, images, appareil de photos. Ah ! le petit coffre où je garde précieusement celles de mes amies de quinze ans chevauchant leur vélo dans la plaine de la Beauce ! Comme ces souvenirs, les cartes postales achetées lors de villégiatures, celles reçues pendant les vacances me rappellent les voyages et les amitiés ! Quelques médaillons figurant des aimés disparus. Je les regarde souvent.
Que pourrait-il m'arriver autre que la marche du temps dans mon abri, mon cocon ?
Catherine
C CHINE : civettes, chauve-souris (cours en chute)
O Octos - générent - occis
N NOTE : ne plus se nourir de la chair du Fangolin
F Faute, Fangolin fécrit fans "F"
I "ILS" itérent l'Invitation insistante d'investir nos intérieurs
N NOTE : "les devoirs faits à la maison ne comptent pas pour la note finale"
É Écrire "effet pangolin" plutôt "qu'effet Papillon"
Thomas-Gregor
J’entends le chien qui gratte au-dessus de nos têtes. En face de moi, M. Taupe sirote son café dans un dé à coudre d’un air d’un air satisfait. Le dé vient du coffret à couture de ma grand-mère. Elle ne m’a jamais appris à coudre, seulement le point mousse en tricot, mais j’ai oublié comment monter les mailles depuis longtemps. Le dé en métal brille vivement, car bien astiqué par Mme Taupe. Il me rappelle l’ouvrage de mon cousin, un tricot de cotte de mailles celui-là, pour faire du jeu de rôle grandeur nature. Je trouvais cela très chic de tricoter avec une pince coupante. Mon cousin roulait en 2 CV au début des années 2000, tel un hipster avant l’heure. Elle était rouge vif et je ne suis jamais montée dedans.
J’entends le moteur de voiture qui démarre. Notre voisin du dessus ne conduit pas une 2 CV car il pense à son empreinte carbone. D’ailleurs, il se sert moins souvent de son véhicule ces derniers temps. C’est tant mieux, car Mme Taupe n’aime pas les mini-séismes occasionnés dans le terrier. Il y a souvent de la casse du côté des pots de confiture. L’un deux est conservé avec un soin particulier, entouré de chiffons et calé dans un photophore pour éviter les chocs. C’est une confiture très spéciale, faite avec les fruits d’un prunier mutant. Cet arbre avait grandi sur une loggia, se transformant avec le temps pour donner une variété qui fut nommée « prune-terrasse ». Pour des questions d’aménagement, on dut abattre le prunier il y a plusieurs années. Seul reste le pot de confiture.
J’entends la lame du couteau de Mme Taupe qui décapite les vers de terre avec la précision d’un maître sushi. M. Taupe finit son café. Le déjeuner sera bientôt prêt.
Kalvine
C onfiture aux
O reilles de
N arcisses, svp !
F erdinand, habituellement farceur
Intérieurement va mal, très mal et
N age
E pisodiquement dans les couloirs de l’hôpital
Florence
L'abri du voyageur
Léandre se prépara à franchir la Porte des Mondes, une construction circulaire semblable à une porte de lune en maçonnerie ancienne.
La facilité du passage faisait oublier trop facilement les problèmes qui s'ensuivaient.
Il savait que le portail pouvait conduire à un monde sans oxygène où il commencerait à étouffer à peine franchi le pas.
La règle des 3X3 lui revint à l'esprit :
Vous survivez 3 minutes sans air
Vous survivez 3 jour sans eau
Vous survivez 3 semaines sans nourriture
L'époque des 3X3 : air+eau+nourriture, avait été suivie de l'époque des 4X3 quand on avait ajouté les intempéries.
Maintenant, il y avait les 5X3.
Pour les uns, le cinquième danger était la perte de l'espoir. On peut considérer que si vous êtes perdu et isolé plus de trois mois sur un monde inconnu vous risquez la dépression. La dépression peut vous conduire au suicide, direct ou indirect. Suicide direct si l'on se fait sauter la cervelle ou suicide indirect si l'on se met en danger, comme affronter un ours à mains nues
pour les autres il s'agissait d'un danger plus perfide : les germes pathogènes qui pouvaient s'attaquer à l'organisme du voyageur, malgré la différence des biologies. La grippe martienne était la plus connue de ces maladies.
Léandre sortit son masque filtrant et l'enfila en s'avançant vers le portail. Il posa sa main sur le symbole représentant sa destination. Le paysage visible au travers de la porte changea : la prochaine étape ! Il faisait plus sombre de l'autre côté. Etait-ce le soir ou le matin ?
Au franchissement, il sentit la pression sur ses oreilles : ce n'était pas la même des deux côtés. Quelque chose dans la porte empêchait le vent de souffler d'un monde vers l'autre. Il respira doucement d'abord, puis plus profondément, prêt à repartir dans l'autre sens. L'air était respirable ! L'odeur inconnue mais supportable.
Il regarda autour de lui : personne ! Quelques pas encore et il vit un petit bâtiment de facture ancienne. Des inscriptions dans des langages inconnus étaient gravés sur la façade.La porte n'était pas verrouillée. Des meubles sommaires semblaient prévus pour toutes les anatomies. C'était un abri du voyageur. Léandre remercia intérieurement ceux qui l'avaient construit.
L'émotion l'avait épuisé. Il décida de passer une nuit ou une journée sur place avant de continuer. Il posa son sac et se demanda s'il devait retirer son masque. Ses poumons étaient pour l'instant son bien le plus précieux.
Claude
C apturés
O bligés
N umérisés
F érocement
I ndépendance
N eutralisée
E ternellement ?
Florence
Trip dans mon salon
Je suis allongée sur mon canapé, transformé en lit le temps du confinement. Je me retrouve avec une chambre-salon, dans une conjoncture inhabituelle, où les meubles ne sont plus tout à fait à leur place, où les câbles de la box, de l’écran et du lecteur DVD se tendent dangereusement, créant des pièges entre mes meubles.
Mes chats sont heureux de m’avoir étendue à leur côté une grande partie du temps. Il ont passé les dix ans de leur vie dans cet état de « confinement », avec les heures longues comme les jours, ou bien est-ce l’inverse ? En devenant aussi abondant, le temps a perdu à mes yeux de sa valeur. Il s’étend comme une pâte molle et tiède. J’ai le temps de tout faire, mais je ne fais rien. Enfin si, je fais du sport, des listes, des cookies végan, mais est-ce pour faire comme les autres, dont je suis éloignée ? Est-ce sincère ou par mimétisme ? Ce sentiment d’être en représentation chez soi.
Heureusement, il y a les bouquins... Eux, ils ne mentent pas. Ou plutôt, si, ce sont de gros menteurs, mais la fiction est souvent bien plus réelle que n’importe quel moment de la vie de n’importe qui. Raconter, quelque chose de vrai ou de faux, permettrait de faire prendre corps, de rendre tangible les instants. Je parcours ma bibliothèque et me rends compte que beaucoup d’ouvrages n’ont pas été lus, ni même ouverts. Ce sont plutôt des témoins de moments passés, comme des instantanés... Ah oui, celui-ci m’avait été offert par ma copine Claire au lycée !... Je me souviens, j’avais trouvé celui-là dans une brocante, pour trois francs, six sous ! Je ne les lirai peut-être jamais, mais ils sont là. Je les déménage toujours avec moi. C’est un peu une photographie de mes goûts, une cartographie subjective.
C’est d’ailleurs l’une des rares choses que je conserve en changeant d’appartement. Ce qui m’arrive très souvent. J’ai du déménager tous les deux ans en moyenne, en presque 20 ans. Cela se traduit par un appartement dépouillé, très peu de meubles, très peu d’objets. Rien de superflu.
Mon appartement est trop grand. L’espace est un luxe, je le sais très bien en ayant vécu 10 ans à Paris. Mais j’avais alors davantage un sentiment de protection, que je ne retrouve pas dans mon grand salon. C’est lumineux, c’est propre, c’est fonctionnel, mais il me manque un je-ne-sais-quoi pour faire abri.
Ça manque de vie, voilà tout ! Dehors... silence. Mes voisins... silence. Pas de commerce, pas de passage. Certaines personnes vivant en ville sont angoissées par l’absence de bruit. Je ne pense pas en faire partie, j’ai vécu un bon moment en zone périurbaine. Mais tout de même... entendre ses voisins, un petit rire de temps en temps, un passant qui siffle dehors, l’odeur épicée de l’Indien en bas de la rue, ça réchauffe le cœur. On se rappelle qu’on n’est pas seul. Ça permet de s’extraire de son intérieur et de son intériorité. Sortez-moi un peu de mon silence, de mes pensées qui tournent comme un bocal entre les quatre murs de ma tête !
Je sais, je sais, il faut se « recentrer »… Inspirez… Expirer… Inspirez… Expirez ! Je me prête au jeu de l’exercice de la pleine conscience avec plaisir... mais quand le seul bruit parvenant à mes oreilles est la ventilation des WC?!
Alors je me perds dans la musique, dans les livres, dans les films. La fiction me fait oublier où je suis. Je pourrais tout aussi bien être à Broadway qu’à Meudon. Au fil des images, des notes, des mots, mon esprit s’évade et je suis chez moi partout ailleurs. J’inspire et j’expire sans encombre, sans même m’en rendre compte, en pleine conscience de ce qui se joue sous mes yeux. Je m’extrais alors de moi-même et mes pensées font corps avec ces histoires et ces atmosphères pleines de mystère. Je fais miennes les aventures et les personnages me semblent familiers. j’ai vécu au Haut Moyen-âge et fait de la résistance. J’ai parcouru les mers, chassé la baleine, voyagé cinq semaines en ballon et passé l’hiver dans le Montana. C’est chez moi et ça vaut bien quelques câbles qui pendent et une bibliothèque trop lourde. Home sweet home.
Aurélie
C Cellule-confiture – confit (de canard, d'oie...)- chambre- cave- caveau -cercueil – cimetière- couvent
O Ostracisé- Oubli- Obscurité
N Naissance (fin d'un confinement)- Nuit
F Folie- fille-fin-faim-femme
I Insanité-Isolée-Illumination
N Noir – Néant
E Éternité- Emmurée
E Ermite – ennui
Aude